#19 Douze chiffres à connaître avant de te lancer à ton compte
Cher·e abonné·e,
tu as peut-être repris le travail reboosté·e comme jamais après des fêtes sans embrouille et sans indigestion. Tu as peut-être aussi repris le travail avec l’élan d’un hippopotame qu’on enverrait vérifier si c’est vraiment OK de se baigner dans la Seine, d’un·e ministre qui devrait rendre les clés de son bureau, ou d’une femme pour amorcer le réarmement démographique dans un pays où finalement, le président du Sénat a annoncé que l’avortement dans la Constitution, il s’en battait les steaks.
Si tu es dans cet état d’esprit et que tu traînes des pieds pour aller travailler, tu es peut-être en train de te reposer, pour la ènième fois, la question de te lancer à ton compte. Ou pas.
Mauvais nouvelle, je peux pas décider à ta place. Bonne nouvelle, je peux quand même partager un semblant d’expérience et te donner quelques chiffres que tu dois connaître avant de te lancer, pour savoir si ton idée est viable, très viable, hyper viable ou si tu peux la jeter dans la Seine avec les hippopotames et le réarmement démographique.
Attention, je ne parle pas d’une boîte avec laquelle tu lèves des millions et tu te développes à la vitesse de la lumière avec huit associé·es et une armée de stagiaires. Je parle d’une structure dans laquelle tu bosses seul·e.
Allez hop. En route (ou pas). Voici quelques-uns des chiffres à connaître.
L’enthousiasme de l’hippopotame partant vérifier si c’est OK de se baigner dans l’eau de la Seine.
1.le montant de ta caisse de secours
On ne se refait pas, je commence par les sujets purement financiers. Le jour où tu bascules à ton compte, tu ne cotises plus à l’assurance chômage. Donc tu n’as plus les mêmes filets de sécurité qu’un·e salarié·e. C’est pas forcément grave, il faut juste le savoir. Ca veut quand même dire qu’il faut, donc, prévoir des amortisseurs plus solides que ceux d’un·e salarié·e. Et puis bon, je veux pas être rabat-joie, hein. Mais quand tu es à ton compte, même si tu n’as pas trop de coups durs, tu peux avoir :
des mauvaises années
des client·es qui te paient avec six ou huit mois de retard (très irritant)
des client·es qui ne te paient jamais (oui, ça existe, et c’est pas drôle)
Bref, si tu veux être tranquille, la reco, c’est une caisse de secours deux fois plus élevée que pour un·e salarié·e. Pour les salarié·es, on dit entre trois et six mois de salaire. Si tu sais compter, tu as bien compris. Prévois le double, entre six mois et un an de revenus. (Six mois, si tu n’as que tes propres frais à assumer. Douze, si en plus, tu as un lourd crédit sur le dos, ou un loyer très cher, et une petite brochette d’enfants, surtout si les enfants en question ont moins de trois ans ou plus de dix-huit ans, c’est-à-dire surtout si tu dois prévoir des frais de garde ou de coûteuses études).
2.Trois
C’est le nombre d’exercices complets que ta banque va te demander après le début de ton activité pour t’accorder un crédit immobilier. Parce qu’elle va avoir besoin d’infos sur ton activité et ta capacité à te payer, et qu’une année, ça ne suffit pas pour dégager une tendance et avoir du recul. Quand tu es salarié·e, la banque te demande un CDI et tes trois dernières fiches de paye.
Tu as bien compris : si tu veux acheter ta maison, et sécuriser un prêt, tu as plutôt intérêt à le faire avant de claquer la bise à ton boss. Parce que ça va quand même être vachement plus simple. Bien sûr, un crédit t’engage et doit être remboursé, mais si tes mensualités ne sont pas plus lourdes que ton loyer, dis-toi que tu devras toujours te loger et payer pour ton toit, d’une façon ou d’une autre. Sauf si tu fais partie de ces personnes à leur compte qui retournent vivre chez leur mère. Mais précisément, si je fais cette newsletter et que j’essaie de t’aider à faire les comptes, c’est pour que ton passage en mode freelance / libéral / solopreneur·euse ne t’oblige pas à retourner vivre chez ta mère.
3.Ta rémunération idéale
Même si tu te lances en créant une boîte, et avec le soutien du plus gros business angel de France, AKA France travail, dans 18 mois, il faudra que tu te payes. Ce n’est pas dans 18 mois qu’il faudra te poser la question de ce que tu dois faire pour pouvoir te payer correctement, c’est maintenant. Si ta première idée, c’est que tu te paieras avec ce qu’il reste dans les caisses à ce moment-là, tu pars pas bien. Alors fais en sorte, dès le début, d’avoir un chiffre d’affaires cible qui intègre ta rémunération (et si possible une rémunération pas trop ridicule). Et donc, pour ça, de connaître ta rémunération nette idéale.
Eh oui, même si ton futur job te passionne, tu ne bosses pas pour la gloire. Tu bosses pour payer tes factures, et aussi pour t’offrir un peu de kiff. (Sauf si tu es rentier·e, gros·se gagnant·e du loto, ou que tu as déjà introduit ta précédente boîte au Nasdaq, là ok, tu peux bosser pour la gloire, tes factures sont couvertes.)
Sauf si tu as déjà introduit ta précédente boîte au Nasdaq, tu ne bosses probablement pas pour la gloire alors connais ta rémunération nette idéale, dès le départ.
4.tes cotisations sociales
Même réflexe : si tu as intégré ta rémunération nette dans tes comptes sans penser aux cotisations sociales, c’est comme si tu avais choisi la rentrée de janvier sans les résolutions, sans le coup de cafard de rentrée, sans le débat sur le dry january, sans la météo à -12 et sans frangipane dans ta galette. Il manque un truc énorme dans ton équation. Un truc qui s’appelle : retraite, assurance maladie, allocations familiales. Et ça tombe pas du ciel comme les fèves surnuméraires pour les enfants de moins de 6 ans, ça se paye. Tout le monde paye. Les salarié·es et les employeur·euses. Sauf que là, tu vas être ces deux personnes à la fois, salarié·e et employeur·euse, donc tu vas avoir l’impression de payer plus.
Si tu as une SASU ou une SAS, tu as un statut de quasi-salarié·e, tu cotises comme un·e salarié·e sauf pour l’assurance chômage (mais du coup, après, tu n’as plus droit au chômage). Pour 1 000 € de salaire net avant impôts versés, compte 800 € de cotisations sociales (c’est un tout petit peu moins, mais c’est un bon ordre de grandeur à avoir en tête).
Si tu as une EURL ou une SARL, si tu es en entreprise individuelle, tu es travailleur·euse non salarié·e, pour 1 000 € de rémunération nette avant impôts versés, compte 500 € de cotisations sociales.
Attention, si tu es en entreprise individuelle, le calcul de tes cotisations est assis sur ton bénéfice (ton chiffre d’affaires – tes frais de fonctionnement hors rémunération et cotisations). Tu ne peux pas choisir le montant de ta rémunération, ni celui de tes cotisations.
Si tu as une micro-entreprise, tes cotisations sociales te coûtent un peu moins de 25% de ton chiffre d’affaires si tu vends des prestations de service et un peu moins de 15% de ton chiffre d’affaires si tu fais de l’achat-revente de marchandises (je compte large)
5.les seuils et plafonds si tu es en micro-entreprise.
C’est-à-dire : les seuils de chiffre d’affaires à partir desquels tu seras redevable de la TVA (ils changent en fonction de ton activité), et les seuils de chiffre d’affaires à partir desquels il faudra trouver une autre structure de boîte.
(Si tu te lances en micro parce que tu penses que tu n’auras pas de compta à faire, c’est faux, il faudra que tu comptes tout le temps et tu pas passer ta vie à essayer de ne pas dépasser ces plafonds, je te recommande vraiment d’écouter Law(her), le podcast d’Estelle By sur ce sujet).
6.tes frais de fonctionnement
Si tu lances une activité avec des salarié·es, une boutique, du matériel, des stocks, des matières premières à transformer, normalement, tu as déjà à peu près fait ce genre de comptes. (En tout cas, tu y as fortement intérêt). Mais si tu vends une prestation intellectuelle, laisse-moi te répéter la plus vaste blague, la plus grosse légende urbaine sur l’entrepreneuriat , cette phrase que tu vas entendre environ 200 000 fois par an : « ben, à part ton ordinateur et ta gueule, t’as pas de frais ».
LOL. Ben oui, aucun frais, à part :
un ordinateur (le fameux).
parfois, une cotisation à une association professionnelle.
parfois, une cotisation pour un club d’entrepreneur·euses.
parfois, une assurance professionnelle.
ta tech stack. (Merci Camille Cocaud et Dorothée Raffray de m’avoir appris ce mot, avant de te rencontrer j’avais une stack sans le savoir). Ce que j’en comprends (si tu es un·e pro de la tech ne te moque pas) : c’est l’accumulation de toutes les solutions techniques auxquelles tu es obligé·e de t’abonner pour que ton automatisation et tes moyens de communication tiennent la route. Ça a l’air pas cher au début, mais en fait, si tu cherches bien et que tu n’oublies aucun abonnement, ça te coûte un rein et demie.
ton bureau, ta boutique, même si tu n’en as pas au début, tu en auras un jour. Il faut l’intégrer dans tes frais futurs et savoir à quel niveau de chiffre d’affaires tu peux te le permettre.
les honoraires que tu verses pour la comptabilité, le conseil (ne lésine vraiment pas sur les frais de conseil), le dépôt de ta marque (lésine encore moins sur le fait d’être accompagné·e pour le faire correctement),
les frais de déplacement, de téléphone, d’informatique, tes cartes de visite (oui, ça se fait encore en 2023), tes cartes de vœux, (pareil), les brasseries où tu vas déjeuner pour rencontrer ton écosystème et peut-être tes futur·es client·es, ou des gens qui te recommanderont auprès d’autres personnes, IRL.
tes frais bancaires.
tes frais de formation.
et bien sûr, ta rémunération et tes cotisations sociales.
J’oublie des trucs. On oublie toujours des trucs. Vraiment. Comme quand on fait son budget perso. Bref, ce chiffre-là, souvent, il est gros. En tout cas, toujours beaucoup plus élevé que ce que tu t’imagines.
7.les vacances que tu peux prendre
Oui, ok, tu es peut-être déjà entrepreneur·euse à 100% dans ta tête, mais si tu ne te ménages pas un peu, ça va être chaud. Vraiment. Fais comme les salarié·es : minimum 5 semaines par an. Minimum. Et comme souvent, comme tu vas aussi souvent bosser pendant tes vacances, eh bien dis-toi que non, c’est pas 5, c’est 8. (De toute façon, tu n’auras personne au bout du fil le 2 août, personne la semaine de Noël, sauf des gens hyper désorganisés qui te font faire un devis en urgence pour ne jamais te répondre, et crois-moi, tu n’as pas envie d’avoir ces client·es-là).
Même si tu es très enthousiaste, tu dois recharger tes batteries (et de toute façon, tu ne joindras personne le 8 août, alors prends des vacances).
8.les jours où tu ne factures pas, mais où tu bosses quand même
Ce temps pendant lequel :
tu prospectes
tu fais ta compta
tu vas à la banque
tu réponds à des appels d’offre
tu paramètres ta tech stack
tu tentes de te rendre visible sur les réseaux sociaux
tu vas voir des gens qui peuvent te recommander auprès d’autres gens qui peuvent te recommander auprès d’autres gens
tu fais des devis pour des gens qui ont jamais eu l’intention de te payer
Allez, une cote mal taillée. Un jour travaillé sur trois. Parfois, c’est plus. Même si tu bosses entre 215 et 230 jours par an, tu ne factureras que 150 jours. Donc tu as souvent entre 65 et 80 jours travaillés, mais non facturés.
9.ton tarif plancher ou « no go » si tu vends ton temps
Ma copine et chère co-autrice Insaff el Hassini appelle ça le tarif « no go ».
En-dessous de ce tarif, tu n’es pas rentable, et donc tu perds ton temps, ton argent, ton énergie, et donc, tu n’as pas envie de prendre cette mission/de bosser pour ces client·es. Ce qui t’autorise la réponse de ma copine Estelle By, « merci, mais à ce prix-là, je préfère aller au cinéma ».
Pour calculer ton tarif « no go », tu additionnes :
Ton salaire plancher annuel
Tes cotisations annuelles calculées avec ton salaire plancher
Tes frais annuels plancher
Et tu divises le total par le nombre de jours facturés, soir 150 jours.
C’est ton tarif plancher. En-dessous de ce tarif, comme son nom l’indique, c’est no-go. Tu refuses de bosser. Tu prends plutôt des places pour les disciplines olympiques des hippopotames.
PS : ton tarif no go, ça ne veut pas dire que tu dois travailler tout le temps pour ce prix-là. Il peut y avoir des situations dans lesquelles ça vaut le coup parce que, par exemple, un·e client·e t’offre une récurrence de revenus, mais ça ne doit pas être ta cible. Et donc, ça ne doit jamais être le chiffre que tu annonces en premier.
10.ton tarif journalier « go »
Les premiers temps, quand tu fais tes calculs, ton tarif « no go » va peut-être te paraître énorme, et je te rappelle que c’est le tarif « no go », c’est-à-dire ton tarif plancher. Mais il y a aussi le tarif « go ». Pas le tarif survie, plutôt le tarif « on va se mettre bien ».
Là, pour faire le calcul, tu additionnes :
Ton salaire idéal annuel
Les cotisations annuelles calculées avec ce salaire idéal
Tes frais annuels avec un très beau bureau et beaucoup plus de restos
Et tu divises encore le résultat par 150 jours. Ne crie pas au scandale, c’est ça ton tarif, celui que tu vas t’entraîner à répéter hyper fort à plein de gens (cette technique vient de mes copines Nouhad Ellafi et Insaff El Hassini et je les remercie tous les jours). C’est celui-là que tu vas donner quand on va te poser la question. Pas en-dessous.
11.ton point mort
A partir de quand tu commences à gagner de l’argent ? C’est quoi ton chiffre d’affaires minimum si tu veux couvrir tous tes frais ? (Attention, on a bien dit : ton salaire et tes cotisations font partie des frais fixes).
PS : je ne suis pas spécialiste mondiale de comptabilité. Mais si tu veux comprendre tes chiffres, ou pouvoir les anticiper et ne pas avoir peur de la compta, je te recommande de suivre de très près les posts et surtout les ateliers d’Anne-Laure Fontalirant de Source expertise. Parce que se lancer sans comprendre un minimum de chiffres, c’est comme de nager dans la Seine quand il fait -12. Une mauvaise idée.
12.le nombre de contacts sur lesquels tu peux compter (AKA ton réseau)
Ça, c’est pour le cas où tu serais un peu trop enthousiaste sur ta capacité à trouver une clientèle hyper vite. Je ne dis pas que ça ne peut pas venir vite. Mais je dis quand même que ça peut prendre du temps, et surtout, je dis que si tu comptes sur l’intégralité de ton réseau pour te faire de la promo, c’est peut-être un peu ambitieux. Alors je te donne un petit truc, même si c’est hard de finir par ce chiffre.
Prends le nombre de tes contacts Linkedin. Puis divise ce chiffre par 10. Ça, donc, c’est potentiellement le nombre de personnes qui peuvent t’aider. Si tu avais un poste à responsabilités, une capacité à passer de grosses commandes et une sphère d’influence élevée dans la boîte où tu bossais, tu peux diviser ce chiffre par cent. Tu changes de position, tu n’intéresses pas plus d’un dixième de ton réseau, ou d’un centième, de ton réseau. C’est moche ? Oui, c’est moche, mais c’est moins difficile de se lancer quand on se fait pas trop d’illusions là-dessus (un peu comme les hippopotames). J’ajoute que les 10% ou 1% sur lesquel·les tu vas pouvoir compter, ne sont généralement pas les personnes auxquelles tu pensais, mais précisément celles auxquelles tu ne pensais pas. Ce qui rend quand même l’histoire nettement plus savoureuse.
J’ai pas eu le temps…
de savoir combien ça coûterait, pour la France, d’envoyer chaque femme qui vient d’accoucher dans un Joriwon, ces hôtels de luxe post-partum de Corée du Sud. Je découvre ce concept de séjour de trois semaines, à 6000 €, après une naissance, où les jeunes mères se font dorloter, masser, livrer leurs repas dans leurs chambres, peuvent se faire faire les ongles et surtout confier leur enfant plusieurs heures pour faire une bonne sieste. J’ai l’impression que dans cette affaire, le deuxième parent est totalement exclu du game, mais je retiens l’idée, quand même, d’une partie du séjour prise en charge par le gouvernement. (Bon, de là à penser qu’il suffira d’un hammam gratuit pour convaincre les femmes de faire des enfants, n’exagérons rien, hein. Des modes de garde décents et pas de pénalité au boulot, ça sera déjà pas mal, mais le spa, c’est un plus).
de calculer le nombre d’euros que pourraient récupérer les locataires à Paris et dans les villes où le loyer est plafonné.
Dépassement moyen constaté à Paris pour les dossiers signalés : 159 euros par mois
A Paris, 28% des logements loués en 2022 sont hors des clous, selon l’Observatoire des loyers de l’agglomération parisienne. Dépassement moyen observé par la ville de Paris pour les dossiers signalés : 159 euros par mois. Plus d’infos dans cet article du Monde (réservé aux abonné·es)
Et puis trois infos en vrac
Pendant quelques mois, j’ai un peu négligé Prends l’Oseille mais j’ai pas mal bossé, notamment avec les Glorieuses sur un sujet qui me tient à cœur, celui des violences économiques. J’en reparlerai prochainement ici, en attendant, tu peux aller faire un tour sur le site et voir l’outil mis en place pour évaluer ta situation, lire les résultats de l’enquête édifiante commandée par les Glorieuses, ou télécharger le baromètre des violences économiques qu’on a fabriqué ensemble.
Cette newsletter est gratuite mais je gagne ma vie avec des consultations et des ateliers d’éducation financière. Si tu penses que tu as besoin d’être accompagné·e, tu peux prendre rendez-vous ici.
Ou t’inscrire pour les prochaines sessions d’ateliers ici. Elles auront lieu le 16 mars (une journée entière en chair et en os, dans un café), ou à partir du 11 mars, en zoom, les lundis et mercredis de 19 à 21 heures. Il y a 5 ateliers par session, sur le B.A-Ba, sur l’immobilier, sur la bourse et les marchés, sur les impôts, et sur l’argent à deux.
Et salut sinon!