#21 Pour Josette, pour économiser plusieurs milliards, et pour savoir pourquoi on va s'engueuler tout l'hiver dans les couples
Cher·e abonné·e,
Tu es probablement rentré·e, tu as peut-être passé les 15 derniers jours à couvrir des livres, tu as débronzé, la trêve des JO est bien bien passée. On vit dans un pays qui a élu 142 députés d’extrême droite, où il a fallu dix semaines pour trouver un gouvernement de droite conservatrice alors que la gauche est arrivée majoritaire aux élections, même les marchés ont accueilli fraîchement la nouvelle. Bref, t’as bien la sinistrose en toi, eh bien cher·e abonné·e, sache-le : tu n’es peut-être pas prêt·e, mais ça ne va pas s’arranger. Ouais.
Parce que si tu vis en couple, il y a quelques frictions, ou quelques grosses engueulades en perspective. Je ne parle pas de la traditionnelle mauvaise répartition de la charge mentale. (On sait que la personne qui couvre les livres est aussi souvent celle qui va aux réunions de parents d’élève). Non, je parle de la répartition du paiement de tes impôts, et laisse-moi te le dire :
il va y avoir du sport.
José : Eh allez, on va encore se prendre le bec pour des histoires d’argent…
Josy : Ouais mais en même temps si tu pouvais arrêter un peu de faire l’autruche, ça me rendrait service
En janvier 2025, l’amendement initié par la députée Marie-Pierre Rixain sur la répartition du paiement de l’impôt dans les couples va entrer en vigueur. Comme le partage de l’impôt dans les couples va changer, si tu es marié·e ou pacsé·e, ton taux de prélèvement à la source (ou le montant de tes acomptes si tu es indépendant·e) a de grande chances de changer aussi. A la baisse, ou à la hausse.
Attention, ce n’est pas le montant total de l’impôt de ton couple qui change. Non, ce qui change, c’est « qui paye combien ? » (Converti en langage pâtisserie, ce n’est pas la taille du gâteau qui change, mais la taille de ta part à toi dans un gâteau qui fait exactement la même taille qu’avant).
D’où les discussions un peu tendues à domicile.
En prévision de ce qui risque de s’apparenter à une vaste engueulade généralisée, voici ce que je te propose :
lire cette newsletter en entier, même si tu es déjà au courant,
et surtout, surtout, faire tourner parce que tes parents, tes ami·es, tes collègues ne sont peut-être pas complètement conscients de la situation.
Bref, gros changement fiscal en perspective, et il va falloir que tu te penches un peu sur la question. Mais quand tu vas découvrir la vérité, tu vas être contrarié·e.
Soit tu vas te rendre compte que ça fait des années que tu payes trop, dont une grande partie à la place de l’autre, et tu vas pas avoir tellement l’esprit de Noël.
Soit tu vas te rendre compte que ça fait plus de cinq ans, au moins, que tu as le cul bordé de nouilles, et que la fête est finie.
Soit tu sais déjà ce qui se passe mais tu te dis qu’il va te falloir déployer des trésors de pédagogie pour faire avaler la pilule à ton ou ta +1, et tu t’entraînes beaucoup à la cohérence cardiaque en prévision de ces explications.
1/La justice fiscale dans ton couple, c’est AUSSI un vrai sujet
En plus, tu détestes les engueulades. (Surtout quand c’est toi qui as raison, et tu as toujours raison). Et pourtant, les engueulades, ça permet de mettre les vrais sujets sur la table. Et la justice fiscale, c’est un vrai sujet. (C’est pas moi qui le dis, c’est le Premier ministre).
Alors on reprend si tu as raté les épisodes précédents.
Mais tu dois d’abord comprendre que l’impôt sur le revenu est progressif : ça veut dire que plus tu gagnes, plus le pourcentage moyen d’impôt que tu payes est élevé. Exemple pour une personne célibataire sans enfant qui n’utilise aucun artifice pour faire baisser sa fiscalité :
tu gagnes 20000 € par an, tu payes 199 € d’impôts, soit 1% de ton revenu.
tu gagnes 30000 € par an, tu payes 1637 € d’impôts, soit 5,5% de ton revenu.
tu gagnes 60000 € par an, tu payes 9486 € d’impôts, soit 15,8% de ton revenu.
tu gagnes 100000 € par an, tu payes 21129 €, soit 21,1% de ton revenu.
2/« Marie-toi, tu paieras moins d’impôts »
Au commencement était le quotient conjugal. Le QUOI ? En langage Jean-Michel, on dit « marie-toi, tu paieras moins d’impôts ». Avec ce mode de calcul, qui date de 1945, on prend en compte les couples mariés ou pacsés comme une seule entité économique. L’impôt n’est pas calculé sur ton revenu perso, mais sur la moyenne des revenus du couple.
Le détail si tu as envie de lire (sinon, passe tout de suite à l’exemple en-dessous) : on prend le revenu du contribuable numéro 1, celui du contribuable numéro 2, et on calcule le montant à payer en faisant la moyenne des deux salaires. Ensuite, on remultiplie le montant obtenu par deux.
Avec le quotient conjugal, on calcule ton impôt sur une moyenne de revenus plus basse que quand tu étais célibataire. Et comme l’impôt est progressif, si la base de calcul est plus basse qu’avant, tu es gagnant·e. A l’inverse, si on fait le calcul avec un salaire moyen plus élevé, ça te coûte plus cher.
3/Un exemple avec Josy et José (le fils de Jean-Michel).
José gagne 3000 € par mois. Seul, il paye 3006 € d’impôts par an. José se marie ou se pacse avec Josy.
Si Josy gagne aussi 3000 € par mois, l’impôt est calculé sur une base de 3000 € par mois et par personne. Ça ne change donc rien au montant de l’impôt. Josy et José payent 6012 € d’impôts par an. Pile poil le double de ce que payait José tout seul. (Déso, Jean-Michel, sur ce coup-là, ça servait à rien de conseiller à José de se marier).
Si Josy gagne 2000 € par mois, l’impôt est calculé sur une base de 2500 € par mois et par personne. Il sera plus bas. Josy et José payent alors 3 455 € d’impôts par an.
Si Josy gagne 1 500 € par mois, l’impôt passe à 2 712 € par an.
Et si Josy ne gagne rien, l’impôt est calculé sur la base du seul salaire de José, mais divisé par deux, et le couple voit son impôt chuter à 123 € par an.
Dès que Josy gagne moins que José, l’impôt par personne baisse, José est gagnant sur le plan fiscal. (Là, Jean-Michel avait raison).
Et plus le salaire de Josy est petit, plus José est gagnant.
A l’époque où les impôts étaient prélevés sur nos comptes en banque, en général, on s’arrangeait avec un compte joint, ou José, grand prince, payait les impôts du couple.
4/Mais depuis 2019, l’impôt est prélevé à la source. Ça, tu le sais déjà.
Ce qui a changé avec le prélèvement à la source, ce n’est pas le mode de calcul de l’impôt. C’est la façon dont les impôts sont prélevés.
Et là, je reprends la configuration où Josy gagne 2 000 € nets et José, toujours 3 000 € nets.
L’impôt pour eux deux, c’est 3455 € à payer, ça fait un taux moyen de 5,8%, et ce pourcentage-là est prélevé tous les mois sur leurs salaires.
116 € par mois pour Josy, et 174 € par mois pour José. Oui mais.
Josy paye 1 392 € d’impôts par an. Or, si elle était seule, elle ne paierait pas du tout ce montant-là. Elle paierait 774 € par an, soit 3,2%. Soit 64 € par mois.
En clair, tous les mois, elle paye 52 € d’impôts en trop. A la fin de l’année, ça fait 624 €. Tu as bien compris, sans le savoir, elle paye les impôts de José (enfin une partie).
Pendant ce temps-là, José, lui, économise pépouze 624 €. (Et souvent, le plus ballot, c’est qu’il ne le sait même pas).
Bref, le prélèvement à la source, tel qu’il a été prévu par défaut pour les couples, floue le petit salaire, qui paye trop. Et il favorise le gros salaire, qui paye moins que ce qu’il devrait. Là, la fameuse progressivité de l’impôt (plus tu gagnes, plus tu payes), eh bien elle est tout simplement inversée.
Pourquoi ? Parce que Josy et José ne se sont jamais posé de questions sur la répartition du paiement de leur impôt. Par défaut, on leur a appliqué le taux commun, qui s’appelle le taux personnalisé. (Cherche pas, c’est pas personnalisé du tout).
5/Il y a une parade, et le fisc avait pensé à ça depuis le début : le taux individualisé
C’est une répartition plus juste du paiement de l’impôt entre les deux membres du couple. Ça s’appelle le taux individualisé. En clair, c’est, à l’intérieur d’un couple, chacun·e son taux. Mais pour ça, il fallait avoir l’info, car par défaut, le taux du couple était paramétré sur le taux commun (le taux dit « personnalisé »). Et pour ceux (et surtout celles) qui n’avaient pas l’info, eh bien, tant pis.
Le taux individualisé, pour Josy (2000 € nets) et José (3000 € nets), ça donne :
Pour un même impôt global, Josy, qui gagne moins, va payer moins qu’avant, et José, qui gagne plus, va payer plus qu’avant (Eh ouais).
Josy paye ce qu’elle devrait si elle était seule, soit 3,2%. Soit 774 € sur l’année et 64 € par mois.
José paye le reste, soit 2681 €, soit 224 €/mois, et son taux n’est plus à 5,8% mais à 7,5%. Eh ouais.
(Attention José, à ce stade, ne t’avise pas de dire que c’est dégueulasse, parce que si tu étais seul, je te rappelle que tu paierais 3006 €, ça te coûterait donc beaucoup plus cher).
Avec le taux individualisé, le paiement de l’impôt est réparti de façon plus équitable : celui ou celle qui a les plus petits revenus paye ce qu’il ou elle devrait payer, pas plus. Et celui ou celle qui gagne mieux sa vie paye la différence.
Ce qui change l’année prochaine, grâce à la députée Marie-Pierre Rixain, c’est que c’est le taux individualisé (celui qui est équitable) qui va s’appliquer par défaut, et non le taux commun. Tu pourras repasser au taux commun, mais sur option uniquement.
Donc, si Josy et José ne s’occupent de rien sur leur compte des impôts, Josy va payer un peu moins, mais José va payer plus.
(José va faire la tête, mais en même temps, José, reminder : ça fait 6 ans que Josy paye une partie de tes impôts, donc on se détend).
6/D’où la discussion qui va s’ouvrir, et là, tu la sens venir l’embrouille ?
Voilà, l’embrouille arrive vraiment. (Note comme le ton a monté d’un cran depuis la photo d’engueulade précédente, et souviens-toi qu’il s’agit d’une photo prétexte qui n’a pas vocation à encourager la violence physique, ni verbale).
José :
-Oui, mais moi, je paye les vacances, on peut bien rester comme avant pour le reste
Josy :
-Oui, mais moi, je vais aux réunions de parents d’élèves de Josette pendant que ta carrière progresse, et c’est pas payé, c’est du travail gratuit, (et en plus les réunions de parents d’élèves c’est douloureux et Josette n’a rien foutu du trimestre)
José :
-Oui, mais moi, j’ai la PRESSION pour faire vivre ce foyer alors je suis obligé d’aller bosser à 6 heures du mat et je suis couvert d’eczéma par ta faute
Josy :
-Oui, mais si tu rentrais à 18 heures moi aussi je pourrais réseauter et faire grimper ma carrière, au lieu de ça tout est toujours de ma faute, j’en ai ma claque, alors que ma carrière piétine, que je paye tes impôts depuis 6 ans, et que tu es plus riche que moi parce que c’est moi qui vais aux réunions de parents d’élèves.
Tu vois, je t’avais dit, ça va chauffer, t’as vu toute cette dispute, tout ce ressentiment, tout ce fiscal-clash, TOUT ça POUR L’ARGENT ?
(Eh oui, s’engueuler pour des histoires d’argent, c’est très sain, parce que derrière les histoires d’argent, il y a beaucoup de réunions de parents d’élèves et de livres couverts qui sommeillent).
Bref, pour ce changement important qui se profile, et pour toutes les disputes de couple très saines qui vont suivre, il faut remercier Marie-Pierre Rixain.
Pour autant, ce serait bien de pas dire :
-c’est bon, maintenant, les meufs, vous avez votre taux individualisé, on peut s’arrêter là.
Parce que le taux individualisé par défaut ne va pas tout résoudre. Vraiment pas.
7/Parce que ça ne suffit pas du tout.
D’abord, sur option, les couples qui le souhaitent peuvent rester au taux commun, donc continuer à avoir le petit salaire qui paye pour le gros salaire. (Par exemple, si José est tête de mule, voire si José trouve ça cool que Josy paye ses impôts et que Josy n’a pas le choix, ce qui s’apparente à de la violence économique).
Ça veut dire : le fisc te recommande de passer au taux individualisé, plus équitable, mais finalement, tu fais bien comme tu veux, hein, c’est une affaire privée. (Et on sait que dans les couples, celui ou celle qui prend les décisions économiques, curieusement, ce n’est pas celui ou celle qui a le petit salaire). Soupir.
Ensuite, même si la plupart des couples passent au taux individualisé, donc à une répartition plus juste du paiement de l’impôt entre eux, ça ne change pas la façon dont on calcule l’impôt des couples. Ça ne change pas le montant total de l’impôt total payé par Josy et José.
8/Ça ne supprime pas le quotient conjugal.
Là, je préfère désamorcer une critique qui ne va pas manquer d’intervenir, comme à chaque fois que je parle de l’argent du couple en général et de l’argent des femmes en particulier. Oui, j’ai une vision terriblement genrée de la situation, et dans mon exemple, c’est Josy qui a le plus petit salaire. Oui, parfois c’est José qui a le petit salaire. Mais comme, en vrai, on est encore dans un équilibre « trois femmes sur quatre gagnent moins que leur conjoint », eh bien dans 75% des cas, c’est Josy qui trinque. Donc je prends le cas le plus courant. Merci, fin de la parenthèse.
Et le quotient conjugal, ce calcul des impôts sur le revenu moyen des couples, comment dire : ça ressemble à l’essence de l’injustice fiscale. Entre les foyers, d’abord. A l’intérieur des foyers, ensuite.
Ça coûte 11,1 milliards d’euros par an. Ça profite en grande majorité aux 15% de foyers les plus aisés, qui concentrent à eux seuls 48% des économies faites grâce au quotient conjugal*.
Ce n’est pas plafonné : c’est un avantage fiscal no limit, en clair, plus tu gagnes d’argent, plus ton économie d’impôt est élevée (selon les calculs de Guillaume Allègre, Hélène Périvier et Muriel Pucci**, ça peut procurer plus de 32 000 € d’économie d’impôts).
Plus les écarts de salaire sont importants, plus ça profite au gros salaire, et plus ça pénalise le petit salaire. Le quotient conjugal récompense les inégalités financières dans le couple.
Et dans les couples où les écarts de salaire sont importants, ça décourage le travail des femmes. Si Josy reprend un boulot, même mal payé, et même avec un taux individualisé, l’impôt global va monter en flèche, parce que sur ce tout petit revenu complémentaire, le couple sera taxé plein pot. Donc, Josy va vraiment hésiter à retravailler. Que celle qui n’a jamais entendu dans son entourage « franchement, si c’est pour payer autant d’impôts, ça sert à rien que tu bosses » me jette le premier livre couvert à la figure. En résumé, le quotient conjugal, ça perpétue les inégalités de genre. Formulé par des économistes qui bossent sur la question depuis deux décennies, ça donne : « Le quotient conjugal participe à la reproduction des inégalités économiques entre femmes et hommes ». (Hélène Périvier, Muriel Pucci et Guillaume Allègre**).
Sans commentaire, soupir.
Alors que si on fait sauter le quotient conjugal :
José paye ses impôts sur son salaire, que Josy travaille ou ne travaille pas
Josy ne paiera pas d’impôts sur son salaire, comme si elle vivait seule avec ce revenu.
9/Et puis il y a quand même un dernier truc très gênant, qui relève aussi de l’injustice :
le quotient conjugal, ça suppose une mise en commun de l’impôt du couple, mais ça suppose aussi une mise en commun des ressources du couple (et donc, des revenus, de l’épargne, du patrimoine, etc ;.)
Mais dans les couples les plus riches, qui sont donc ceux qui profitent le plus du quotient conjugal, eh bien, on ne met pas les ressources en commun. En tout cas, beaucoup moins que dans les classes moyennes et populaires***. En clair, plus on est riche, moins on partage à l’intérieur du couple.
Donc, traduit en José classes supérieures très très aisées, genre 1% les plus riches, ça donne :
José gagne 300 000 € par an, Josy n’a pas de revenus.
José, célibataire, paierait autour de 106 000 € d’impôt sur le revenu et 6 000 € de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (CEHR).
José, marié avec Josy, ne paye plus que 86 000 € d’impôts et il n’est plus redevable de la CEHR.
José veut bien économiser 26 000 € de moins d’impôts par an (il veut bien conjugaliser l’impôt). Mais José ne veut pas partager l’argent.
Josy 1% promène son spleen avec dignité mais elle a le spleen quand même, pour de bonnes raisons.
José est marié en séparation de biens, et en dehors de l’argent qu’il consent à attribuer aux frais courants, José n’a jamais lâché un seul euro à Josy. Qui, elle, vit confortablement mais, sans revenus, mécaniquement, a littéralement zéro euro sur ses comptes épargne. (Alors que bon, rappel, Josy a aussi les réunions de parents d’élèves de Josette pour lesquelles elle n’est pas rémunérée). Voilà. Ça s’appelle : la mutualisation du travail, mais l’individualisation totale des profits.
Tu pourras objecter que les problèmes de Josy 1%, qui promène son spleen entre son 200 mètres carrés et le Spa du Bristol, ce sont des problèmes de riches, et qu’on s’en bat les ovaires. D’abord, je n’ai aucune difficulté à en parler (cf la baseline de cette newsletter, Toi aussi, tu veux des problèmes de riche). Mais en plus, je ne m’en fous pas du tout parce que ce sont surtout les problèmes d’une femme qui, même si elle vit dans un cadre très confortable, n’a aucune autonomie financière. Qui subit donc une grande injustice économique. Et qui, souvent, envie secrètement ses copines qui lui parlent de la réunion de 15 heures avec Dugenou, parce qu’elle, elle se demande vraiment comment elle ferait pour gagner sa vie. Parce que la probabilité qu’elle se retrouve sans José et sans un euro sur son compte en banque pour divorcer correctement est assez élevée.
Voilà pourquoi je voudrais bien, et je ne suis pas la seule, qu’au nom de la justice fiscale entre les femmes et les hommes, on supprime le quotient conjugal.
Je te rassure : je ne suis pas la première à y penser, et depuis 1945, la suppression, ou au moins le plafonnement de l’avantage lié au quotient conjugal ont déjà été proposés à de nombreuses reprises.
10/Mais curieusement, aucune réforme du quotient conjugal n’a jamais été adoptée, parce que
a/c’est un peu technique, personne n’y comprend rien (d’où cette newsletter détaillée qui t’aidera, j’espère, à y voir un peu plus clair)
b/ça rend quand même pas service à Jean-Michel et à José, qui perdraient leurs privilèges fiscaux masculins.
c/ça leur rend encore moins service si ils appartiennent aux 15% qui profitent le plus de ce dispositif,
d/ce sont des problèmes de bonne femme, donc tout le monde s’en fout.
Voilà voilà.
Alors que si on réforme le quotient conjugal, selon la façon dont on s’y prend, on peut récupérer plusieurs milliards. C’est en tout cas ce qu’ont calculé Hélène Périvier, Muriel Pucci et Guillaume Allègre**.
L’Etat récupère 7,2 milliards d’euros de recettes fiscales si on dynamite purement et simplement le quotient conjugal. Dans ce schéma, on n’économise pas la totalité du coût, parce qu’on laisse la possibilité aux parents de se répartir les demi-parts des enfants de la façon la plus avantageuse sur le plan fiscal. Le problème de cette solution, c’est qu’elle pénalise les riches, mais aussi les moins riches, donc elle n’est pas parfaite.
Il y a une autre solution, qui permet tout de même à l’Etat d’avoir 2,9 milliards d’euros de recettes fiscales en plus : plafonner l’avantage fiscal du quotient conjugal à un peu plus de 3000 € par foyer. Dans ce cas-là, l’économie est moins spectaculaire, mais les personnes pénalisées sont vraiment les 10% qui gagnent le mieux leur vie.
A voir la composition du nouveau gouvernement, très favorable aux schémas familiaux bien traditionnels, je ne suis pas certaine que la suppression du quotient conjugal, ce soit pour tout de suite. Les personnes qui vont remettre le sujet sur la table vont de nouveau se voir reprocher de vouloir asphyxier les familles, et d’être super individualistes. Alors je voudrais juste formuler les choses autrement, même si ça ne va pas plaire à tout le monde.
Non, réformer le quotient conjugal, ce n’est pas adopter un comportement individualiste. C’est tordre le cou à un outil patriarcal, c’est faire des milliards d’euros d’économies alors qu’on en a besoin, c’est booster la croissance avec plus d’emploi des femmes.
Et si c’est pas pour Josy, parce qu’elle aura du mal à trouver du travail à 45 ans passés avec un trou de 12 ans dans son CV, eh bien, c’est pour sa fille, Josette, qui, elle, ne s’arrêtera jamais de bosser et ne sera pas pénalisée sur le plan fiscal, ni professionnel, si elle vit avec une personne qui gagne beaucoup plus d’argent qu’elle.
Alors pour Josy, mais surtout pour Josette, réformons le quotient conjugal.
Vigilance, encore
Cette newsletter sur les impôts du couple ne serait pas tout à fait complète si je ne te précisais pas que les revenus fonciers sont toujours taxés en commun, même si ce sont les revenus d’une seule personne. Assure-toi donc que tu n’es pas prélevé·e sur un compte joint pour des revenus sur lesquels tu n’as aucun droit, ou que c’est bien l’autre qui alimente le compte joint pour ces revenus.
Et elle ne serait pas non plus complète si je ne te rappelais pas que les couples en union libre font fiscalité à part, SAUF pour l’impôt sur la fortune immobilière. Cohérence, tu as entendu le mot cohérence? Bon, en attendant que nos élus réfléchissent à harmoniser un peu les choses, regarde bien ta situation.
Si tu as des biens immobiliers, que l’autre a des biens immobiliers, que vous vivez ensemble, et que la valeur totale de vos biens immobiliers va chatouiller dans les 1,3 millions d’euros, renseigne toi bien sur le mode de calcul de la base imposable à l’impôt sur la fortune immobilière et, s’il le faut, fais une déclaration.
*L’imposition conjointe des couples mariés et pacsés organise une redistribution en direction des couples les plus aisés, dont les effets ont augmenté entre 2012 et 2017, Mathias André, Insee Références, édition 2019
** Imposition des couples et statut marital – Simulation de trois réformes du quotient conjugal en France / Taxation of Couples and Marital Status – Simulation of Three Reforms of the Marital Quotient in France - Guillaume Allègre, Hélène Périvier, Muriel Pucci
*** La mise en commun des revenus dans les couples, Sophie Ponthieux, Insee première N° 1409 - JUILLET 2012
Puisqu’on parle d’injustices de genre…
Les Glorieuses ont recalculé, pour 2024, le jour et l’heure à partir duquel les femmes travaillent gratuitement. Sur la base du plein temps, les femmes gagnent en moyenne 13,9% de moins que les hommes. Converti en jours ouvrés (il y en a 252 en 2024), ça donne plus de 35 jours d’écart. Donc si tu es une fille, prépare-toi : tu peux te dire qu’à partir du #8novembre16h48, tu vas au bureau pour même pas du beurre.
Puisqu’on parle aussi de super-riches…
Je ne peux pas ne pas te parler de cette newsletter rédigée par THE spécialiste des fortunes, qui épluche méthodiquement depuis 30 ans toutes les valeurs des plus grosses boîtes, et donc ce qu’il y a dans les portefeuilles des personnes les plus riches de France. Spoiler : ce sont des hommes, souvent héritiers, mais pas que, et les analyses d’Eric Tréguier sont ultra-documentées. Donc tu peux aller t’abonner à la minute riches.
Puisqu’on parle de justice fiscale ET de super-riches…
Tu peux lire le condensé des infos sur les héritages des très grandes fortunes, compilé par Oxfam, qui fait plein de propositions pour que l’Etat ne se prive pas de 160 milliards d’euros supplémentaires au cours des 30 prochaines années. Il y a beaucoup d’idées reçues sur les droits de succession (“ils nous prennent tout”), et encore plus de mécanismes fiscaux tout à fait légaux pour se soustraire en grande partie à ces impôts quand on est bien conseillé·e… Parfois, ça va très loin, et tu as probablement déjà lu ce chiffre mais les personnes qui reçoivent plus de 13 millions d’euros payent, en moyenne, 10% de droits (alors que sur le barème, officiellement à ces niveaux-là, c’est plutôt 45%).
Et puis deux infos en vrac :
Cette newsletter est gratuite pour le moment, mais je gagne ma vie avec des consultations et des ateliers d’éducation financière. Si tu penses que tu as besoin d’être accompagné·e, tu peux prendre rendez-vous ici.
Ou t’inscrire pour les prochaines sessions d’ateliers ici. Elles auront lieu les mardis et mercredis de novembre, en zoom, de 19h à 21h30, ou le samedi 30 novembre toute la journée, dans un café parisien, façon bootcamp. Il y a 5 ateliers par session, sur le B.A-Ba, sur l’immobilier, sur la bourse et les marchés, sur les impôts, et sur l’argent à deux. Les inscriptions sont ouvertes depuis hier soir.
Et salut sinon!